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Delgrès : « Les gens doivent rester libres dans leurs têtes »

Delgrès était à l’affiche du festival Mythos mardi dernier. « Mo Jodi », le premier album de ce trio de Blues créole, est sorti l’été dernier. Delgrès « c’est du blues flambé au rhum », c’est la rencontre de la Louisiane et de la Guadeloupe.

Rencontre avec Pascal Danae, Baptiste Brondy et Raphaël Gouthière.

Delgrès, c’est un hommage à Louis Delgrès. Vous pouvez m’en parler ?
Pascal : c’était un officier métisse de Napoléon Bonaparte. Il était né en Martinique. C’était un de ses soldats, il s’est battu pour la révolution française, il a été fait prisonnier par les anglais. En 1802, il était basé en Guadeloupe au moment où Napoléon a voulu rétablir l’esclavage. C’était quelqu’un qui croyait dur comme fer en la liberté, il n’a pas pu laisser faire cela. Il est donc entré en rébellion et pendant tout le mois de mai 1802, il s’est battu avec ses hommes. Au bout d’un moment ils étaient en sous nombre, environ 300/400 personnes. Ils se sont réfugiés dans une habitation en Guadeloupe à Matouba. Plutôt que de se rendre, ils ont miné le terrain, ils ont attendu que les français attaquent et ils ont tout fait exploser, y compris eux-mêmes.
Delgrès c’est l’histoire d’un héros régional qui a lutté jusqu’au bout. Il a appliqué l’idéal de la révolution.
Pascal : au moment où il a fallu donner un nom au groupe, on a choisi son nom car notre toute première chanson s’appelle « Mo Jodi », c’est aussi le nom de notre album. « Mo Jodi » veut dire « mourir aujourd’hui », cette chanson parle du sacrifice de Louis Delgrès, de mourir plutôt que de se rendre. On lui a dédié cette chanson.

Delgrès c’est un trio dobro, batterie et sousaphone. Tu voulais un son de basse mais tu t’es finalement tourné vers un sousaphone.
Pascal : je ne voulais pas un son normal. Mes premières chansons ont été écrites sur un dobro. La guitare dobro c’est cette guitare avec un rond métallique qui est emblématique du blues. C’est une guitare qui a un son un peu roots, un son qui a plein d’imperfections. Je voulais donc un son de basse qui soit dans ce même type, quelque chose qu’on ne trouve pas forcément dans les basses électriques. J’ai toujours eu un goût très prononcé pour les basses très basiques, les basses de rues, les basses simples.
Le choix du sousaphone s’est imposé, c’est un instrument emblématique de la Nouvelle-Orléans, un instrument lié à tout l’imaginaire de la Louisiane.
J’ai eu la chance de rencontrer Raphaël Gouthière via un ami et ça a fonctionné tout de suite.

Tu as donc écrit tes premières chansons avec un dobro. C’est la rencontre de cet instrument qui a tout déclenché ?
Pascal : cet instrument a cristallisé un parcours qui a commencé des années avant.
La première fois que je suis allé en Guadeloupe j’ai rencontré une vieille cousine de mon père qui m’a donné la lettre d’affranchissement de mon arrière arrière grand-mère, Louise Danae.
Elle avait 27 ans, elle a été libérée en 1841. Plusieurs choses sont devenues ainsi concrètes. La rencontre avec le blues je l’ai faite avec cette série de DVD sur ce thème produite par Martin Scorsese. C’est toutes ces petites graines qui ont été semées au cours des années qui font qu’au moment où je rencontre cette guitare dobro et que je commence à oser faire un peu de slide, Delgrès commence à prendre forme. Et puis ensuite il y a la rencontre avec Raphaël Gouthière et Baptiste Brondy.

Le blues s’est faire ressortir ce qu’on a au fond de soi. Tu avais envie d’une musique plus personnelle ?
Pascal : c’était essentiel pour moi. Au moment où j’ai fait les premières chansons, le fait d’utiliser le créole était une manière de revenir à des choses vraiment essentielles pour moi sans me soucier de ce que ça allait devenir. Au début je m’en fichais de savoir si ça allait devenir un album, un groupe. J’avais juste besoin de jouer ces notes de blues que j’adorais, avec lesquelles je me sentais super connecté.
Le créole faisait le lien avec mon enfance et puis on peut exprimer plein de choses essentielles, avoir des images super fortes avec très peu de mots.
J’étais vraiment bien là-dedans, dans ce cocon.

Vous avez fait le parcours inverse, d’abord toute une série de concerts et ensuite l’enregistrement de ce premier album.
Pascal : oui on a tourné pas mal avant. On voulait prendre du plaisir avant d’entrer en studio. Non pas que le studio ne soit pas du plaisir mais c’est une manière de figer les choses. On a à peine commencé à jouer un morceau qu’il faut déjà le figer, le prendre en photo. Nous on voulait d’abord jouer, aller sur scène. On a vraiment pris du plaisir pendant plus de 2 ans et le studio s’est ensuite imposé pour enregistrer tous nos morceaux. Tout était pratiquement prêt quand on est arrivés au studio mais il fallait quelqu’un qui puisse capter ce côté live, le préserver tout en faisant une production d’album. On a enregistré dans les conditions du live, dans la même pièce mais avec des arrangements qui font qu’on est dans un album. Les gens qui nous ont vu en concert il y a 2 ans retrouvent les mêmes sensations, et les gens qui ne nous connaissent pas en live et qui écoutent l’album retrouvent aussi les mêmes sensations quand ils viennent nous voir sur scène.
Baptiste : on s’est fait sur scène, cela a joué sur le son de l’album. Tout le son de l’album est arrivé très naturellement. On voulait retranscrire ce côté live, ce son qu’on s’est forgé au fil des concerts. Ca n’est pas du tout comme ça aujourd’hui, avant de tourner il faut faire un album. On a eu la chance de trouver les bons partenaires au bon moment qui nous ont permis de faire ça de cette manière. On ne peut pas tourner sans album, c’était une chance pour nous.
Pascal : c’est un breton qui nous accompagné, un brestois qui s’appelle Nicolas Quéré. Il travaille au studio La Frette à côté de Paris, c’est le quatrième membre de Delgrès avec qui on a co-réalisé l’album et qui a vraiment compris comment fonctionnait notre son.

Si beaucoup de chansons du groupe évoquent la lutte, le combat pour la liberté, il n’y a pas de ton rageur dans la voix, plutôt de la douceur dans la musique. Vous ne vouliez pas forcément défendre un côté politique mais plutôt que les gens se laissent porter par la musique ?
Pascal : quand on joue dans des pays où l’histoire de Delgrès n’est pas connue, la connexion se fait parfaitement. On n’est pas obligés d’ouvrir un bouquin d’histoire pour venir nous voir. Une chanson comme « Mr Président », c’était une jam au départ et puis j’ai eu envie de m’adresser aux hommes et femmes politiques, aux responsables politiques qui prennent des engagements devant les électeurs et qui les oublient ensuite. Tout le monde le sait, c’est un classique mais c’est bien de le rappeler avec un léger sourire en coin, c’est plus porteur que de le dire avec rage. La rage et la violence dans la musique existent depuis très longtemps. Plein d’artistes sont déjà allés super loin dans ce domaine. Je pense qu’il faut dire les choses telles qu’on les ressent.
On a envie de dire les choses de manière forte mais la rage ne donne pas plus de force à nos propos.
On est plutôt dans le rappel, on va dire les choses, scander, évoquer plutôt que revendiquer. Baptise : je suis nantais et Pascal guadeloupéen, c’est symboliquement quelque chose de fort.

Votre musique et vos paroles permettent d’entrer en communion avec vous. Pourquoi le choix de la langue créole qui ne permet pas forcément de comprendre les paroles ?
Pascal : parce que c’est ce que je ressens.
Le seul langage qui est universel, qui fait que tout le monde peut comprendre, c’est les sentiments plus que le langage.
Si j’utilisais un langage que les français comprennent mais que moi je ne ressens pas, ils le sauraient. L’impact n’est pas le même. Les gens sont très sensibles à la sincérité plus qu’au langage utilisé. Et puis il y a plein de mots que les gens peuvent comprendre et qui les laissent se faire leur propre histoire, l’esprit fait le reste, on aime laisser cette porte ouverte.

Votre engagement à vous c’est de donner du plaisir et d’en prendre ?
Baptiste : le blues c’est les sentiments de tous les jours, de choses passées, des émotions pures et dures qui arrivent et qui font la musique que l’on joue. Pour ma part c’était quelque chose de plus animal, de plus primaire, aller à l’essentiel dans le son.
Raphaël : dans Delgrès, j’avoue que je n’avais pas l’intention de faire ressortir des émotions particulières. A la base, j’étais là pour m’exprimer en tant qu’instrumentiste mais Delgrès, ça parle de sentiment, il y a une vraie communication sur des choses qui sont extra musicales. Ca n’était pas une volonté, mais c’est maintenant un fait. C’est un vrai épanouissement sur scène.
Pascal : c’est une alchimie de musiciens, au-delà de ce bagage avec lequel je suis arrivé. Avant même d’appeler le groupe Delgrès, on a commencé à jouer ensemble, on s’éclatait juste et puis on a commencé à composer ensemble. Au moment où on a trouvé qu’il y avait un truc, on a commencé à chercher le nom du groupe et à en faire quelque chose. C’est vraiment l’alchimie qui nous a réunit. Avec Baptiste on avait déjà une super connexion dans Rivière Noire j’ai donc pensé à lui directement et quand Raphaël est arrivé c’était comme si on avait joué ensemble depuis 30 ans. On est juste biens quand on est fait de la musique ensemble.

1802 2018, finalement les choses ne changent pas ?
Pascal : les choses se sont déplacées. Il y a toujours de l’esclavage dans le monde, il y a toujours des combattants de la liberté. On les appelle terroristes selon là où on se situe. Les résistants étaient appelés des terroristes par les allemands durant la dernière guerre. Moi je ne dis pas qui a tort et qui a raison mais l’usage de la violence envers des innocents n’est juste pas possible, il n’y a pas d’excuse pour ça.
Ce qui est important c’est de voir qu’il y a toujours des gens qui luttent aujourd’hui pour avoir le minimum de dignité. Louis Delgrès, ça n’est pas de l’histoire, c’est de l’actualité, c’est très contemporain.
Les gens doivent rester libres, surtout dans leurs têtes pour ne pas aller tuer des centaines de personnes au nom de je ne sais qui. C’est important d’être libre et éduqué.

Merci Pascal, Baptiste et Raphaël.

Propos recueillis par Cath
Crédit photos : Elodie Le Gall

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