La Fine Equipe : interview des 3 beatmakers de Nowadays Records.
Fin 2014, La Fine Equipe sort sa troisième Boulangerie avec 28 morceaux et comme toujours des collaborations de tous les côtés. Le Hall 3 des Trans s’en souvient encore. J’ai rencontré ces 3 beatmakers dans leur loge de l’Antipode juste avant leur concert de vendredi dernier avec, en fond sonore, les balances du premier live de Leska, première partie de ces derniers pour le concert organisé par l’association Decilab.
Rencontre avec Ugo, Chomsky et Gib.
Pourriez-vous vous présenter chacun et parler de votre rôle dans La Fine Equipe ?
Chomsky : je suis parisien, je suis beatmaker comme mes 3 collègues.
Ugo : je suis aussi beatmaker. En fait, on a tous le même rôle. On est tous producteurs, compositeurs et beatmakers. Dj aussi , sauf Chomsky. On fait du scratch, on vient du turntablism comme C2C, Birdy Nam Nam, des groupes qui faisaient des concours de scratch. On touche donc aux platines et on a tous le même rôle. C’est vrai qu’en live on a des rôles séparés. Chomsky s’occupe de la section rythmique, des pads, des voix et des sons qu’il envoie. Moi je m’occupe plus du mix général, des effets, des envois des pistes. Je joue avec des samplers aussi. Et Mister Gib s’occupe de toute la partie rythmique, platines et scratch aussi. Il s’occupe d’envoyer toutes les vidéos. Ca c’est notre définition en live.
Gib : moi je viens de Marseille, je vis à Paris depuis longtemps. Je suis ingénieur du son en plus d’être beatmaker et Dj comme mes collègues. J’ai un studio d’enregistrement qui s’appelle « One Two Pass It ».
Vous m’avez donc donné votre définition en live. C’est pareil pour la compo ?
Ugo : en compo on fait un peu tout !
Gib : en compo on est tous pareils, on est tous beatmakers. On aime faire un morceau tout seul, comme en commencer un, le donner aux autres et que chacun apporte ses idées.
Chomsky : on n’a pas un rôle chacun. On n’est pas guitariste, bassiste ou autre. On joue de tout. On produit tous des sons. Non seulement on joue de la musique mais on la produit aussi. On se réunit souvent, on répète pour adapter nos compos au live. Il y a des idées qui naissent de ces répétitions. On est vraiment producteurs. Ca nous arrive de produire d’autres artistes notamment Gib avec son studio.
Gib : on est un peu aussi de l’autre côté de la musique. Ugo et Chomsky ont monté le label Nowadays Records sur lequel on produit nos projets mais aussi celui d’autres artistes. Blanka, qui ne tourne pas avec nous pour des raisons de planning, a un autre projet qui s’appelle Jukebox Champions et il a un studio de mastering. Moi j’ai un studio d’enregistrement et de mixage. Je collabore avec d’autres artistes.
C’est quoi l’histoire de La Fine Equipe ? Elle est née comment cette team ?
Ugo : au tout départ, on était tous les 3 (Ugo, Gib et Blanka) sur Marseille. On faisait des platines, du scratch. On a commencé comme ça. On faisait des émissions de radio sur Marseille, du mix. On a commencé petit à petit à se mettre à la production, à acheter des machines pour faire du son, à composer et à faire du beatmaking. On est tous montés sur Paris. On y a retrouvé Chomsky dans une école de son. Il avait des prod qu’on aimait énormément. On s’est donc super bien entendus et on a eu ce concept de sortir ce premier album qui s’appelle La Boulangerie, sorti en 2008. C’était une réunion des sons de chacun, sur lequel on a aussi invité plein d’artistes. C’est cela qui a lancé officiellement La Fine Equipe. On vient du Djing, du hip-hop et on s’est lancé dans la production assez vite.
Vous avez tous les mêmes influences ou chacun apporte son univers, des sons différents ?
Chomsky : il y a des bases communes, des choses qu’on écoute tous et qu’on partage mais on a aussi des choses qu’on aime plus particulièrement. Ce qui est commun à La Fine Equipe c’est ce qui tourne autour du groove, de la rythmique, du beat.
Gil : ça peut être du hip-hop, de la soul, du funk. Certains préfèrent le rock psyché des années 70, certains sont plus en mode jazz, en mode musiques de film. On a plein de groupes de références !
Il y a un beatmaker qui nous a tous réuni c’est J Dilla. Il est mort en 2006, quelque temps avant qu’on ne sorte La Boulangerie. C’est un hommage puisque son dernier album s’appelait Donuts. On a donc fait un Donuts à la française.
Il y en a d’autres comme Flying Lotus, on l’écoute tous. Dans les plus classiques, les Stevie Wonder. On est tous collectionneurs de musique. Certains sont à fond dans les vinyles, d’autres dans la découverte de musique via soundcloud, bandcamp et autres. On est tous des gros consommateurs de musique.
Alors La Fine Equipe c’est plutôt électro ou hip-hop ?
Chomsky : hip-hop électro !
Gil : c’est un hybride. On vient du hip-hop mais notre son tend de plus en plus vers l’électro. On a quand même toujours ce côté beat, cette part importante de la rythmique qui doit provoquer quelque chose.
Chomsky : le beatmaking ça vient en fait du hip-hop instrumental. C’est vraiment la base pour les rappeurs. Aujourd’hui ce style a évolué à travers plein d’artistes, il y a plein de branches, ça se mélange avec la musique électronique qui utilise les mêmes machines, les mêmes références. Au final, le hip-hop c’est de la musique électronique. Avant on appelait ça hip-hop rap parce que c’était lié à la culture hip-hop, aux mouvements sociaux, etc… Aujourd’hui ça s’est démarqué. La musique instrumentale hip-hop est de la musique électro à part entière. La musique électro englobe le hip-hop, la techno, la house. On a les mêmes outils, les mêmes machines.
Vous parliez de l’hommage à J Dilla, mais elle vous est venue comment cette idée de Boulangerie, de « compilation de beatmakers » ?
Chomsky : on voulait rendre hommage à ce beatmaker qui s’appelait J Dilla. A la base, l’idée de compilation nous est venue car on travaillait beaucoup sur myspace. On sentait qu’il y avait un petit milieu de beatmakers qu’on suivait, qui nous suivait. On parlait même à Flylo, il était hyper accessible à l’époque. On a senti le truc venir à notre petit niveau en France et on a voulu regrouper très vite à la manière d’un label toute cette scène et créer un mouvement. C’était notre premier projet.
Ugo : on ne savait pas si on allait faire une suite. On avait envie de sortir un projet de beatmakers par des beatmakers pour tout le monde. On avait envie d’en faire profiter un maximum de gens. On ne savait pas pour un deuxième, si les gens allaient accrocher. On s’est dit : quitte à le faire, autant le faire à fond. On remplit le CD, on invite un maximum de potes. Ca collait bien puisque ça n’était que des morceaux sur des formats très courts. Il y avait une espèce de petite recette que tout le monde avait bien captée avec des interludes juste pour changer d’univers en deux secondes.
Chomsky : on l’a fait dans une démarche complètement libre. On était impressionnés qu’un mec veuille bien nous distribuer. C’était dingue. On avait aucune manière de penser, genre carriériste, marketing promo, etc… On s’est dit on a l’opportunité de faire un truc, on va le faire à fond.
Gib : on était vraiment des beatmakers à la maison. On a fait la première Boulangerie en 2008, mais on a fait nos premières scènes en live en 2012. On avait donc pas ce côté « faire de la musique pour le live », pour la scène. On voulait faire du son et le partager, pas ce côté promo, distribution. On était loin de tout ça. On n’avait pas encore notre label à l’époque. Ca nous a fait évoluer, rencontrer plein de gens qu’on retrouve sur les autres Boulangerie.
Est-ce qu’il y a une évolution entre les 3 Boulangerie ? La première Boulangerie est sortie en 2008 et la dernière fin 2014. Les tournées vous permettent peut-être de continuer à travailler votre son ?
Chomsky : le live nous aide à aller plus loin dans nos morceaux, dans notre travail personnel de la composition. La Boulangerie 1 c’était tout autour de la boucle, des sons des années 60 qu’on récupérait. Aujourd’hui on travaille cette matière et on l’amène un peu plus loin. Dans notre travail de compositeur, on structure mieux nos morceaux aujourd’hui, on a plus notre univers. Ca nous a aussi aidé à rencontrer beaucoup d’artistes, à tourner, à se faire un public.
Gib : on utilise des outils différents aujourd’hui. Entre ce qu’on avait chez nous pour faire de la musique et ce qu’on a aujourd’hui sur scène. Du coup, aujourd’hui on utilise pas mal les outils qu’on a sur scène pour faire de nouveaux morceaux. Cela a donc une vraie influence, une vraie interaction. La réaction du public aussi te permet de capter ce que tu as envie de proposer.
Chomsky : en live, tu captes des codes en plus qui te permettent de faire des sons appréciés par un max de monde.
Comment vous choisissez vos collaborations ? C’est une volonté de faire découvrir de nouveaux artistes, de montrer qu’on peut travailler ensemble même quand on vient d’univers différents ?
Chomsky : ce sont des gens avec qui on partage beaucoup, on collabore, que ce soit sur le net ou au studio de Gib. On fait pas des recherches. Ce ne sont que des proches, des amis.
Gib : on cherche pas les artistes qui ont du succès. On marche par affinité musicale et humaine. C’est un label familial. Il faut qu’il se passe un truc entre nous. On ne cherche pas le mec qui a 400 000 likes en 3 jours.
Chomsky : au sein de La Boulangerie c’est compliqué d’avoir un album cohérent parce qu’il y a beaucoup de monde. On essaie quand même d’avoir quelque chose qui tourne autour du beatmaking, du hip-hop instrumental pour garder cette cohérence car chacun a sa façon d’enregistrer, de mixer. Via le label, on est super intéressés pour bosser avec d’autres artistes qui viennent d’univers différents.
Gib : au fur et à mesure des Boulangerie, les gens a qui on proposait avaient bien compris le cahier des charges. T’as plus besoin de leur expliquer. C’est comme un chef cuistot ! Prépare nous un plat et régale toi ! Montre nous quelque chose qui te fait délirer ! On reçoit des morceaux sans avoir à expliquer le concept de La Boulangerie puisqu’ils le connaissent. C’est ça qui est super ! Les gars digèrent le truc et te proposent de nouvelles idées. Ca fait avancer le projet. Le plus dur, c’est d’arriver à faire le tracklisting. C’est plutôt Ugo qui s’en occupe. Pour nous les Boulangerie, c’est un peu comme un Dj Set. C’est conçu pour être écouté du début à la fin avec des phases de montée, des moments où ça redescend un peu, et puis des interludes avec des trucs sur la bouffe. C’est tout l’univers qui va avec.
Est-ce qu’il y a une collaboration qui vous fait rêver encore aujourd’hui et que vous espérez pour 2016 ?
Gib : Flylo !
Ugo : il y a les collab’ avec les chanteurs et avec les musiciens, beatmakers comme nous qu’on adore. Moi j’aimerais bien faire un truc avec Thundercat qui est aussi sur le label Brainfeeder et qui travaille beaucoup avec Flying Lotus. Il a beaucoup produit sur l’album de Kendrick Lamar. C’est un bassiste à la base qui chante et qui est un des mecs que j’aime le plus en tant que musicien et chanteur en ce moment. Ca pourrait être une collab’ que j’adorerais faire !
Gib : bosser avec Vannier, l’arrangeur de Gainsbourg…
Vous y avez déjà fait référence mais vous pouvez me parler du label Nowadays Records que vous avez crée (Ugo et Chomsky) ? Pourquoi ? Vous avez voulu créer votre famille musicale ? On y retrouve le rennais Douchka d’ailleurs.
Chomsky : à la sortie de l’album La Boulangerie 1, on avait un projet déjà en cours avec un rappeur et une chanteuse qui s’appelle Fantastic Planet. En fait, c’est la continuité de notre état d’esprit. C’est l’esprit DIY (Do It Yourself), indépendant. Quand on a eu la première expérience avec La Boulangerie, on a vu comment ça se passait et on s’est dit qu’on pouvait faire 100 fois mieux. C’est pour ça qu’on a eu l’idée de monter notre label. C’était dans la continuité de notre façon de travailler. On a toujours fait les choses entre nous que ce soit pour la production, la diffusion…
Ugo : comme disait Chomsky, on a monté notre studio d’enregistrement. Simplement on ne connaissait rien au business de la musique. On voulait faire de la musique, sortir nos trucs, on s’est dit qu’on allait monter la structure pour ça. On avait aussi cette envie depuis le début avec La Boulangerie d’inviter plein d’artistes et donc de produire. On s’est dit que dans le futur on avait aussi envie de sortir les projets des gens qu’on aime bien autour de nous, parce qu’on côtoie plein d’artistes qui ont du talent.
On avait envie de ça depuis le départ, créer cette famille et s’entourer des gens qu’on aime, pouvoir travailler avec un environnement de personnes qu’on a choisi.
Trans 2014, le 5 décembre à 21h, Hall 3. Malgré l’heure peu avancée, le public est conquis par votre live. Vous en gardez quel souvenir ? Ca vous a apporté quelque chose par la suite comme Superpoze ou Fakear ?
Chomsky : on en garde un super souvenir c’était chanmé ! C’était difficle à 21h !
Ugo : au niveau pro, le fait de dire que tu as joué aux Trans et que tout s’est bien passé ça joue. Il y a énormément de pros qui viennent, c’est un rendez-vous important que tu ne dois pas rater. Ca a sûrement bien aidé ! Pour nous c’était un moment de ouf !
Chomsky : une fierté d’y jouer. On avait fait les Bars en Trans, on s’était dit que c’était déjà ça. On ne s’imaginait pas qu’on ferait les Trans.
Ugo : c’est une aventure de ouf. En dehors du concert lui-même, c’est une organisation incroyable. On n’a jamais fait autant d’interviews à suivre ! On a dû faire une vingtaine d’interviews, un vrai marathon. C’était drôle de vivre ça, de rencontrer plein d’autres artistes qu’on connaissait ou pas. C’était vraiment un point de rendez-vous important pour nous. Le lendemain on jouait à Marseille, on faisait une soirée Nowadays avec Fakear et toute la famille du label. Un très très bon souvenir !
C’est quoi la suite ? Une Boulangerie 4 à venir ? Des projets solos ?
Gib : non pas de Boulangerie 4 !
Ugo : on vient de sortir un remix avec Madjo, une artiste qu’on aime beaucoup. Nova commence à le jouer régulièrement tous les jours, c’est super cool. C’est quelqu’un avec qui on a envie de collaborer plus tard. On a déjà commencé une suite, on a des sons en préparation. On va sortir des projets dans différents styles, on va essayer 2/3 choses avant de revenir avec un album d’ici un an. L’idée c’est de faire une pause, on est à la fin d’une tournée. On va aller un peu à l’étranger pour faire des concerts dans d’autres pays et revenir dans une petite année avec un nouvel album, des choses fraîches, des nouvelles collab’, mais pas forcément La Boulangerie. Ca sera dans un autre concept, un peu plus lié au live. On a appris beaucoup de choses en faisant tous ces concerts, cela nous a un peu plus donné l’idée de ce qu’on voulait faire exactement comme musique, on a un vrai aperçu, on a vécu toute l’évolution du hip-hop, de l’électro, on a découvert plein d’autres choses, des nouveaux logiciels. Beaucoup de choses ont changé. On a un son qui s’est dessiné à force de faire des concerts. On a vraiment une idée précise de ce qu’on veut faire dans le futur.
Chomsky : on va digérer tout ça et faire un truc tout frais !
Merci les gars et bon live ce soir !
Propos recueillis par Cath
Crédit photo : Gaelle Evellin http://gaelleevellinphotographe.tumblr.com
Crédit photos : Mozpic’s
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