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Nosfell : « C’est un album bilingue, symétrique, c’est la même histoire vue par un frère et une sœur. »

Nosfell sortira son nouvel album à l’automne prochain. Pour ceux qui ont eu la chance de le voir en concert à Mythos vendredi dernier, Nosfell y a joué les morceaux du prochain album en exclusivité ! Il nous en parle dans cette interview, quelques heures avant de monter sur scène.

Rencontre avec Ludovic Debeurme

Tu peux me parler de la genèse de Nosfell ? J’ai cru comprendre que tu avais commencé dans le vin…
En fait, j’avais un petit boulot dans une cave dans la ville où je vivais avec ma mère, mon frère et mes deux sœurs. Ce caviste était un peu comme un père spirituel pour moi, son lieu était un havre de paix pour moi. La musique c’est autre chose, la musique a toujours été là. J’ai commencé à jouer de la musique à 15 ans. Un jour j’ai donné ma démission à la cave et je suis parti vivre au Japon avec ma compagne de l’époque sans argent, juste avec mon solde de tous comptes. Je suis parti avec cette enveloppe dans un pays extrêmement cher. On s’est débrouillés tous les deux là-bas et on a parcouru le pays grâce à la musique. Je jouais de salles en salles, dans la rue, chez les copains, on nous hébergeait, ils étaient contents de nous avoir. Aujourd’hui c’est ma famille, je suis retourné jouer là-bas en octobre et novembre dernier !

Nosfell a donc commencé au Japon !

Mais quand j’étais caviste j’avais quand même une date par mois dans un club qui s’appelle « le Baiser salé », un club très central à Châtelet, qui programmait à l’origine que du jazz mais le gérant avait décidé de programmer autre chose. J’ai commencé à y avoir un public qui me suivait assez rapidement. Un bouche à oreille s’est fait. Je suis reparti vivre au Japon et quand je suis rentré ces gens là étaient toujours présents, j’avais laissé des traces dans leurs esprits. Cela m’a motivé pour continuer.

D’ailleurs, il te vient d’où ton nom ?
Je ne peux pas dire que j’aime ce nom aujourd’hui, mais je le garde. C’est l’abréviation de Nostrum Fellow. Je me faisais appeler comme cela. Dans la famille de mon père, il y avait des guérisseurs dans les montagnes berbères. C’était un peu pour fantasmer cette vie là, les racines de mon père que je n’ai pas connues, juste croisées. Il y a une sorte de crise identitaire dans ce nom, ce personnage. J’étais aussi fasciné par les visuels de ces charlatans américains de la vieille époque. « La potion qui guérit tout ! ». Toute une charte graphique a été développée autour de ce thème. J’ai donc fait une association d’idées entre ma passion pour la musique anglo-saxonne et la passion que mon père avait pour l’Amérique et ses origines mystérieuses et mystiques. Il y a eu une histoire de rêve américain inachevé entre mon père et ma mère mais c’est une longue histoire. C’est comme cela que mon personnage est né. Cela m’a permis d’habiter cette langue avec laquelle mon père me parlait. Langue qui a donné naissance à beaucoup de chansons. Une langue que j’ai peaufinée avec mes connaissances linguistiques.

Ce personnage de Nosfell a donc comme fonction d’incarner plusieurs personnages, encore une fois liés à ma crise identitaire, cette recherche de fils d’immigré.

Tu vas jouer ton nouvel album ce soir en exclu (album qui ne sortira qu’à l’automne prochain). Tu vas jouer avec Vincent Brulin, Frédéric Gastard et Emiliano Turi. Tu peux me parler de ce quartet ?
J’ai travaillé pendant 5 ans avec le spectacle vivant, notamment en collaboration avec Philippe Decoufflé et d’autres metteurs en scène et plasticiens. C’était intéressant de défendre ma musique au sein d’un univers qui n’était pas le mien. J’ai appris plein de choses c’était une belle expérience. J’ai deux belles bandes originales dans ma discographie, je suis content. Mais il me tardait de reprendre mon parcours de chanteur et de voir ce que j’avais encore envie de dire après cette expérience. J’ai écrit une trentaine de chansons. J’ai d’abord voulu collaborer avec un arrangeur avec qui j’avais déjà travaillé sur une cantate que j’avais composée pour un performeur/chanteur qui s’appelle François Chaignaud. J’avais adoré travailler avec cet arrangeur qui s’appelle Frédéric Gastard. Je suis très fidèle, j’avais donc très envie de pérenniser, de voir comment la relation allait évoluer. J’avais aussi besoin d’un réalisateur pour l’album. Je croisais depuis des années le batteur Emiliano Turi. On avait déjà joué ensemble en improvisation. Cette équipe s’est donc formée au début. On a fait ce disque à trois, on s’est bien amusés à le faire. Je souffre toujours à la fin car pour moi l’accouchement est toujours un peu difficile. Emiliano m’a proposé de jouer sur scène avec Vincent Brulin en 4ème homme. On a fait beaucoup d’arrangements sur le disque au cours de l’enregistrement et je ne me voyais pas jouer sur scène avec un ordinateur, je voulais être libre de chanter, de jouer de la guitare donc la venue de Vincent était nécessaire. Sur scène, il y a donc un batteur, qui n’a pas de séquenceur, qui joue de la pure batterie acoustique, Frédéric qui joue du saxophone basse et du clavier basse et qui chante, et de l’autre côté de la scène il y a Vincent qui chante aussi et qui joue de la guitare et du clavier polyphonique, du Juno. On a beaucoup utilisé des claviers des années 70 sur ce disque.

Et ce nouvel album, tu peux m’en parler ? Il sera dans la suite logique de Amour Massif ? Tu reviendras sur ton univers d’avant ? Y aura-t-il des choses nouvelles ?
Sur chaque album, ce qui est important pour moi c’est de développer un vocabulaire spécifique. Dès mon second album j’ai eu envie de changer, de prendre des risques à chaque fois, de ne jamais faire la même chose, tout en maintenant mon style d’écriture. Ce nouveau disque s’éloigne d’Amour Massif, il se rapproche plus de mon premier album. J’ai dessiné un cadre très défini sur l’orchestration, sur les arrangements, sur la nomenclature.

Sur ce nouvel album, il y a assez peu d’instruments, c’est très minimaliste dans les structures des musiques, c’est moins méandreux que les autres disques.

Mais je pense que ce nouvel album est nourri de toutes ces expériences passées.

Toi qui en fait beaucoup, il y aura des collaborations sur cet album ? C’est peut-être encore secret.
Non il n’y a pas de collaboration sur cet album. J’avais envie de recentrer cet album sur moi, pas par excès de narcissisme mais pour me retrouver, me ressourcer. J’étais déjà avec deux musiciens très créatifs et très bienveillants à l’égard de mon travail. J’avais vraiment envie de marquer une rupture car j’ai fait beaucoup de collaborations ces dernières années. J’avais juste envie de me retrouver. Par contre, la création tout seul, c’est plus dur, c’est beaucoup de temps seul, isolé.

T’es seul face à tous tes démons, tes obsessions. Mais, au final, cela paie artistiquement.

C’est la première fois que je fais un album où je peux tout jouer sur scène.

Dans ton album « Amour massif », chaque chanson raconte sa propre histoire, alors que sur tes albums précédents, c’était plutôt l’intégralité des chansons qui racontait une histoire. Il sera sur quel schéma cet album ?
Contrairement à Amour Massif, il est habité par une histoire. Chaque titre de Amour Massif était une photographie de plusieurs personnages qui n’avaient pas de liens les uns avec les autres. Dans ce nouvel album, il y a un fil rouge, une conduite binaire.

C’est un album bilingue, très symétrique, autant de titres en français qu’en anglais et un titre central en deux langues. C’est la même histoire vue par deux personnages différents, un frère et une sœur, des jumeaux.

Il n’y aura donc pas de Klokobetz sur ce nouvel album ? Tu peux me parler de ce langage que tu as inventé ? C’est ton papa qui t’a laissé 7 mots avant de partir c’est ça ?
Si il y aura un ghost track, un hommage à ce langage ! En effet, c’est parti d’une liste de sept mots de mon père. Mon père était quelqu’un d’un peu fou, extrêmement talentueux, mais aussi quelqu’un de très violent, dur. Il y avait ce truc, cette connivence entre nous.

Mon père me réveillait la nuit et je devais lui raconter mes rêves. Cela m’a appris à noter mes rêves, beaucoup de mes chansons en sont issues.

Il s’appropriait mes rêves, il me racontait les siens. C’était une manière à lui d’échanger dans un autre espace temps avec son fils. J’ai connu mon père à une époque où être immigré n’était pas facile, il travaillait beaucoup, on le tutoyait facilement. A cette époque là, on ne respectait pas les gens du Maghreb en lointaine banlieue. Il y avait donc une réelle crise identitaire. Je pense que ce langage c’est l’expression de tout cela. Mon père parlait sept langues, il avait une grande facilité pour les langues, il apprenait très vite. Il voyageait beaucoup, beaucoup de personnes étrangères venaient à la maison. Pendant très longtemps, je n’ai donc pas vraiment su quelle était ma langue maternelle. En plus, mes parents se parlaient en anglais. Ce langage est donc né pour garder la musique de mon père, encrée en moi comme mon tatouage. Ces sept mots qu’il m’a laissés sont devenus la base étymologique de ce langage et après c’est une histoire sans fin… Aujourd’hui ce qui m’intéresse avec ce langage c’est de faire des objets comme « le lac aux vélies », un conte musical. Je suis en train d’écrire la suite mais c’est très long, c’est une pièce pour orchestre.

Tu avais besoin de te mettre au français et à l’anglais pour te faire comprendre de ton public, pour te dévoiler plus, te mettre à nu ?

Sur le premier album il y a beaucoup d’anglais. Sur le deuxième album il y a deux chansons en français. Il y a donc toujours eu ces trois langues sur mes albums qui se croisent : ma langue maternelle, la langue secrète de mes parents et ma langue secrète à moi.

Cet album sera auto-produit, comme tu le fais à chaque fois ? Tu es attaché à ton indépendance artistique, tu penses que cela peut te freiner sur certains aspects ?
Oui, c’est important pour moi mais c’est aussi une aventure. J’ai monté ma structure de production pour mon premier album. J’ai toujours aimé le travail familial, collégial. Que tout le monde profite des rentrées d’argent et que je sois le seul intéressé aux pertes. Ca n’est pas par excès d’altruisme ou quoi que ce soit, mais j’aime être maître des équipes que je monte pour que tout le monde puisse en profiter. C’est beaucoup de travail, c’est très difficile, c’est pour cela que j’ai pris du temps pour faire ce disque.

Parlons maintenant de Nosfell sur scène.

Je t’ai vu à chaque fois que tu es venu jouer à Rennes et sur quelques festivals bretons comme aux Vieilles Charrues.
Ah oui avec Bob l’éponge !

Oui, et surtout quand tu as grimpé le long du mur d’enceintes ! Nosfell en concert c’est une performance live ! Tu utilises ton corps comme instrument sur scène. Tu habites vraiment ta musique comme personne. Tu es dans quel état quelques minutes avant un concert ?
Je suis très stressé, j’ai besoin de me concentrer. J’ai besoin d’être là pour le public, il n’y a plus que ça, je ne me projette plus à même pas 2 heures, je suis dans ma bulle.

Ta voix c’est ton instrument principal en fait ? Tu la travailles comment ?
C’est une histoire de diaphragme, de respiration. Je n’ai jamais pris de cours. Depuis quelques années, je vois un phoniatre une fois par an pour vérifier où en sont mes cordes vocales. Il m’encourage à garder la même technique puisque je ne me fais pas mal, mes cordes vocales sont intactes. Mais j’ai une hygiène de vie hyper relou !

Je ne bois pas d’alcool, je ne me drogue pas, je ne fume pas, je ne sors pas dans les lieux enfumés, dans les endroits où on parle fort pour m’éviter de parler fort, j’essaie de dormir un maximum même si je suis insomniaque.

C’est contraignant mais bon j’ai d’autres vices !!!!!

Tu en as déjà un peu parlé, mais tes différentes voix au cours d’un concert sont autant de personnages ? Des personnages qui parlent à Nosfell, ton personnage finalement ?
Non ce sont des personnages qui parlent entre eux, qui s’adressent à quelqu’un d’absent ou qui écoute, c’est une voix intérieure, souvent…

Ta musique et ton univers sont tellement inclassables ! Et c’est tant mieux. Il y a des artistes et des groupes qui t’influencent pour écrire et composer ?
Je sais pas trop si j’ai envie d’être à part ou pas, c’est pas une fin en soi. Mais en même temps, je m’y habitue, j’aime bien qu’on me le dise, cela me fait plaisir. J’aime la musique donc j’écoute tout ce qui vient à moi, tout ce que je chine. J’ai des passions pour des compositeurs, pour des chanteurs. J’aime qu’on me fasse écouter des choses, je consacre beaucoup de temps à écouter de la musique.

J’ai toujours été attiré par les orchestrations classiques, par les musiques contemporaines. Je suis autodidacte et comme c’est compliqué j’ai envie de comprendre, de mettre le nez dedans pour voir comment ça fonctionne.

Mais j’ai été aussi un jeune de cité comme les autres avec un accès difficile aux disques dans les années 80/90. J’avais un album de Michael Jackson, un album de Bob Marley et puis c’est tout. J’avais les albums de mon père comme Crosby, Stills & Nash, la musique des années 50/60. J’ai beaucoup gardé de la culture marocaine de mon père. A l’époque, la musique beatnik faisait fureur sur les plages du Maroc, la musique Bollywood aussi. Mon père avait beaucoup de bandes originales de Bollywood, elle vient peut-être un peu de là ma voix très aiguë ! J’ai aussi eu la chance de repartir plusieurs fois au Japon par amitié mais aussi pour apprendre. J’ai pu étudier le sanshin, un instrument très populaire dans les îles d’Okinawa et à lire la musique car la lecture au Japon est particulière. Je suis aussi allé en Inde apprendre quelques gammes vocales. J’essaie de m’ouvrir à tout et à m’entourer de musiciens d’univers différents pour leur poser plein de questions !

Tu reviendras sur Rennes en automne pour la sortie de ton nouvel album ?
J’aimerais beaucoup ! Je n’ai pas encore de date de prévue mais j’espère ! Ce soir, nous jouerons 95% de l’album car la date est tombée en plein milieu de notre résidence. Nous jouerons deux titres de Amour Massif.

Merci Ludovic.

Propos recueillis par Cath
Crédit photo : Manu Wino

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