Sleaford Mods : « cela paraît évident d’écrire sur la politique, de délivrer des messages sinon à quoi sert la musique ? »
Sleaford Mods est un duo anglais post-punk/hip-hop, originaire de Nottingham. Leur dernier album « English Tapas » est sorti en mars dernier chez Rough Trade. Ils étaient en concert à l’Ubu ce lundi. Jason nous a accordé un moment juste après leurs courtes balances de 15 minutes. Un groupe très politique qui nous a inspiré une interview plus politique que d’habitude.
Rencontre avec Jason Williamson, le chanteur le plus corrosif de l’Angleterre actuelle.
Votre album « English Tapas » est sorti en mars dernier. Tu l’as présenté comme cela : « L’album s’appelle English Tapas. C’est nul. C’est anglais. Et par dessus tout : c’est de la merde ! « C’est une drôle d’introduction non ?
C’est typique des anglais, de prendre le meilleur des cultures des autres pays, d’essayer de faire par eux-mêmes et ça ne fonctionne jamais. Faire du pas cher.
Un résumé parfait de ce que la culture anglaise fait des belles choses venues d’ailleurs : se les approprier pour mieux les pourrir.
Et puis, rien ne va chez nous, la politique, l’environnement… J’avais donc envie de le présenter comme cela, comme un ras le bol, mais c’est un album parfait j’en suis sûr !
En effet, « English Tapas » est le nom d’un menu immonde proposé dans les pubs anglais. Ce titre est une critique assez dure de la culture de ton pays.
Oui une critique de mon pays, de l’idéologie anglaise, je n’ai d’ailleurs jamais testé ce truc, pas envie d’en manger, ça doit être dégueulasse.
Cela fait 10 ans que vous sortez des albums et à chaque fois c’est en lien avec l’actualité, comme un témoignage du monde qui va mal. Cette fois-ci c’est un album suite au Brexit. C’est un sujet qui t’a inspiré ? En quoi ?
Oui c’était juste après le Brexit. Tout le monde a été surpris de ce vote. On a senti des différences suite à cela. L’humeur des gens n’est plus la même.
En Angleterre, il y a de plus en plus d’homophobie, de racisme, d’attaques envers les migrants et les réfugiés.
En fait, il y a des attaques envers des gens sans trop savoir pourquoi, c’est comme ça aujourd’hui. En Amérique aussi il y a des soucis avec les communautés noires et de plus en plus. Tout cela nous a inspiré pour cet album, malheureusement. C’est pareil en France de toute façon.
L’un des morceaux s’intitule « B.H.S. » comme British Home Stores, c’est une histoire très dure mais malheureusement très réelle. Tu peux m’en parler ?
B.H.S, c’est une chaîne de magasins qui existait depuis très longtemps et qui a fermé toutes ses enseignes en 2016. Le patron milliardaire Philip Green a vendu la boîte à l’étranger, mis 11 000 personnes au chômage pendant que lui prenait livraison de son troisième yacht, estimé à 100 millions de livres et récupérait un joli chèque.. C’est comme cela que ça marche aujourd’hui. Il a gagné des millions sur le dos de ses ouvriers. C’est typique du super business d’aujourd’hui, cela devient une routine. C’était donc un bon sujet pour une chanson.
Tu écris sur la pauvreté, la médiocrité, l’injustice de ce monde.
Oui, définitivement. Et je ne pense pas que les choses vont changer.
Le monde est de plus en plus dur, les gens ont des boulots de plus en plus mauvais pour eux et de moins en moins intéressants. Ils travaillent de plus en plus pour s’en sortir de moins en moins.
Mais cet album parle aussi de choses personnelles.
Oui tu te sers aussi de ta vie personnelle pour écrire, tu as bien galéré avant, en accumulant des petits boulots mal payés.
Et j’essaie d’en parler de plus en plus, de mes souvenirs. J’ai bien galéré, je m’en sers pour écrire mes paroles et m’inspirer. Je parle de choses que j’ai vécues, vues, c’est plus facile de parler de son expérience. Aujourd’hui, j’écris, je crée, c’est vachement mieux que de faire un boulot purement alimentaire comme je faisais avant.
La musique rend libre, mais en vivre c’est très compliqué.
Tu dis : « Nous ne croyons pas que le socialisme, le communisme, ni aucun mouvement en « isme » puisse résoudre les problèmes de la race humaine. ». Pourtant on vous classe souvent en groupe politique. Tu es d’accord avec cette étiquette ?
Oui je suppose, on est supposé en être un mais on ne supporte aucun parti. On devrait supporter le parti des travailleurs pourtant. Mais les politiques sont tellement loin de la réalité de la vie des gens. Je ne sais pas si on peut faire quelque chose pour changer tout cela. L’être humain est tellement chaotique, chacun vit sa vie dans son coin et ça n’est pas comme cela qu’on résoudra les problèmes.
Après, cela paraît évident d’écrire sur la politique, de délivrer des messages sinon à quoi sert la musique ? A quoi on sert ? On ne peut pas ignorer ce qui se passe et faire comme si tout allait bien, c’est impossible !
Certaines personnes vous décrivent comme les nouveaux working class heroes. On dit de toi que tu es l’une des plumes les plus corrosives et tranchantes du circuit actuel en Angleterre.
On est peut-être aujourd’hui un des groupes les plus intéressants en Angleterre, sans prétention aucune.
Je trouve juste qu’aujourd’hui, les groupes n’ont plus d’idées, ne savent pas quoi dire. Cela fait plus de 10/15 ans qu’il n’y a plus grand chose d’intéressant dans notre pays au niveau musical, plus aucun groupe prolétaire.
Personne ne parle de ce que nous parlons alors que la plupart des gens le vivent. Et puis, c’est une réaction normale de ce que nous vivons, de ne croire en rien, d’en avoir marre de la frustration, du stress. On est deux vieux meilleurs que la plupart des jeunes groupes, ça les agacent d’ailleurs. On y a toujours cru, on y met toute notre énergie depuis beaucoup d’année.
Ta façon de chanter et les productions minimalistes d’Andrew donnent constamment un sentiment d’urgence et de spontanéité à votre musique. Est-ce quelque chose que tu recherches, ou est-ce une conséquence naturelle de votre façon de travailler ? Ce sont tes paroles qui exigent cela ?
Non c’est juste naturel, j’aime chanter comme cela, c’est la conséquence de notre énergie, notre musique doit aller très vite pour emmener les gens qui nous écoutent.
Et puis, les paroles obligent à chanter vite, fort, de façon à rendre au mieux ce que j’ai voulu dire.
La musique rapide est bonne ! Et puis, cela va avec notre grande frustration, cela ne sert à rien de perdre du temps. On verra si cela continue de plaire. Pour le moment nous tournons beaucoup, le public est présent, mais peut-être que dans 2 ans il en aura marre et se tournera vers un autre groupe, qui sait… Alors profitons en tant que nous pouvons le faire.
Vous enregistrez les morceaux très vite en studio. Pourquoi ce mode de fonctionnement ? Ca t’ennuie l’enregistrement ? L’aspect brut d’un morceau est plus en adéquation avec votre musique ?
Oh oui, que c’est ennuyeux de passer un temps fou sur un morceau. Mes anciennes expérience de groupes m’ont un peu refroidit sur le processus d’enregistrement, passer des semaines sur un son, rajouter des couches et des couches. Nous, on veut aussi avoir le côté minimal de notre musique. On veut faire ressortir l’âme de nos morceaux. On a mis 3 semaines pour cet album pour l’enregistrement. En tout avec l’écriture, cela nous a pris 4 mois. On l’a enregistré en 3 sessions. Si j’ai suffisamment de paroles pour accompagner les boucles d’Andrew, ça peut aller très vite.
Tu es fan de la culture punk des Sex Pistols, du Wu-Tang Clan. Le son de Sleaford Mods en est logiquement très influencé. Ce sont deux références importantes pour toi. Il y en a d’autres ?
Oh oui beaucoup d’autres. J’ajouterais Two Lone Swordsmen, The Jam. J’écoute beaucoup de hip-hop, de folk, de guitare acoustique. J’écoute vraiment de tout mais on est quand même sur un mélange de punk et de hip-hop.
Les Sex Pistols et Wu-Tang Clan sont vraiment nos 2 références, nous sommes dans la même musique, la musique réactionnaire.
Après plusieurs disques sur le label Harbinger Sound, votre nouvel album « English Tapas » sort sur le mythique géant indépendant Rough Trade. Pourquoi ce changement ? C’est pour avoir une meilleure distribution pour la grosse machine qu’est devenu Sleaford Mods ?
On s’est rendus compte qu’il fallait qu’on soit plus visibles dans les autres pays et on ne pouvait pas le faire seul. Notre manager nous a donc parlé de Rough Trade, on a discuté avec eux et ça l’a fait ! Cela nous aide beaucoup à l’international !
Vos prestations scéniques sont assez dingues. Andrew a une main dans la poche, l’autre qui tient une bière qui finit par mousser, il balance le son et se contente de bouger la tête et de sourire. Toi, tu craches tes punchlines, montes en puissance au fur et à mesure du live. Sleaford Mods en live c’est une réelle expérience !
Oui, j’imagine, j’espère que les gens prennent leur pied ! On verra ce soir mais ça devrait être cool ! J’ai visité la ville cet aprem, c’est très beau avec toutes ces vieilles façades.
Merci Jason.
Propos recueillis par Cath
Crédit photos : Titouan Massé
Titouan Massé Photography / titouanmasse.tumblr.com / @tmphotograph