Labels d’été #01 : Beast Records
Après notre série « Comptoirs d’été », nous vous proposons de découvrir les labels rennais pendant cette trêve estivale, et les personnes qui se cachent derrière. Ces labels qui nous font découvrir des artistes, et qui organisent des concerts toute l’année dans notre ville.
Episode 01 : rencontre avec Sébastien Blanchais de Beast Records.
Comment et quand est née l’aventure de Beast Records ?
C’est né par une autoproduction en 2003, l’éternel problème du démarchage pour trouver un label. Sans label, il faut avoir une énorme confiance en soi et un peu de prétention, c’est assez difficile. Je me suis donc dit « autant faire les choses soi-même ». Et puis les choses se sont enchaînées avec un groupe breton « The Outside » emmené par l’australien Greg Bowen, je n’avais pas encore les moyens de produire à l’époque. Et puis Orville Brody m’a ensuite demandé de l’aider, il a vendu énormément, ça a permis d’apporter un peu de finances au label. Il y a ensuite eu Six Ft Hick, on vendait 1000 vinyles en 3 semaines. Le label s’est développé grâce à ces artistes et ils sont restés fidèles. J’essaie de faire un pont entre la France et l’Australie.
Le batteur de Spencer P. Jones m’a beaucoup aidé. Ils ont joué à l’époque au Jardin Moderne et il y avait beaucoup de monde d’un peu partout en Europe. Suite à cette date, il m’a donné un crédit énorme en Australie.
Qui est derrière Beast Records et comment sont répartis les rôles de chacun ?
On est trois avec Romain Michon et Franck Carêmel, qui est parti faire un long voyage. Moi je m’occupe des choix artistiques et des liens avec les groupes. Romain le fait aussi avec moi et il s’occupe de tout le côté administratif. Sans lui, il n’y aurait rien car je suis trop bordélique. On manque de monde mais ça n’est pas toujours facile de recruter. On travaille tous les deux.
Je passe 4 heures tous les matins à m’occuper de Beast Records et de l’organisation des concerts que l’on fait en moyenne une fois par semaine sur Rennes.
Ca prend beaucoup de temps, le rythme devient difficile, on ne peut pas répondre à tout le monde.
Comment tu choisis les artistes avec qui tu vas travailler ? Comment repères-tu les artistes ? Tu fonctionnes à l’instinct, tu les vois tous en live ?
Je marche au coup de cœur, c’est rare que je signe avec un groupe que je n’ai pas vu sur scène, sauf avec les Australiens. Mais j’ai des gens de confiance là-bas qui se portent garants de ces groupes. Pour certains groupes comme Six Ft Hick qui sont juste déments sur scène, je ne me pose même pas de questions. Pour les groupes français, je les vois sur scène. Il y a parfois l’attitude qui peut me plaire.
Quand les Druids of the Gué Charette envoient chier le public qui veut un rappel, ça me plaît, c’est ça le rock, ça n’empêche pas d’être sympa après, c’est juste un show.
Il faut que tout aille ensemble pour que ça fonctionne.
Beast Records reçoit beaucoup de démos j’imagine ?
Oui beaucoup ! Je reçois même parfois des courriers avec le support physique et une lettre manuscrite, je trouve ça touchant. A partir du moment où on prend un crayon pour m’écrire quelque chose, je réponds. Et puis, ça me manque, j’aimais bien quand on s’écrivait avec les musiciens, aujourd’hui tout se fait par mail. Il y avait de l’humain dans nos échanges.
On a même des propositions de rap et de chanson française. On a produit 200 disques mais certains ne savent toujours pas ce qu’on fait.
Tu en as déjà un peu parlé mais est-ce qu’il y a des critères de choix artistiques pour pouvoir signer chez Beast Records ? C’est quoi la philosophie du label ?
Je ne ferai jamais de groupes de chanson française car ça n’est tout simplement pas ma sensibilité. Cela ne m’empêche pas d’aimer des artistes français comme Carambolage. Je me suis posé des questions avec ce groupe mais ça ne serait pas leur rendre service du tout car je ne suis pas spécialiste pour ce genre de musique.
Je ne suis pas fan des followers, ceux qui suivent les musiques qui fonctionnent et qui s’y mettent, je trouve ça insupportable et ça m’ennuie.
Combien d’artistes sont signés chez Beast Records actuellement ?
On doit être à peu près à 200 signatures aujourd’hui.
Tu aurais un Top 5 à me donner ? C’est une question difficile…
Je mettrais les Six Ft Hick, Shifting Sands et Gentle Ben en premier parce que ce sont les frères Corbett et je suis dingue de tout ce qu’ils font.
Je pense aussi à Chicken Snake dans lequel joue Jerry Teel. Il a aussi joué dans Chrome Cranks, Pussy Galore, tous les groupes de Jon Spencer que j’aimais au début des années 90. Il y a les Hits aussi, ils sont trop foufous et je les adore. Côté français je pense à Chicken Diamond. Et ma dernière sortie qui est Rhyece O’Neill parce que j’en suis juste dingue. C’est une belle personne et sa musique me transporte depuis le début.
Quel est ton dernier coup de cœur que tu aimerais avoir chez Beast Records ?
Les Lullies c’est ma dernière claque. Ils font quelque chose de très classique dans le punk rock 77 mais sur scène ce sont les meilleurs. Plutôt que de faire la tournée des SMAC, ils se font 60 dates aux Etats-Unis, ils enchaînent sur 40 en France. Ils ne s’arrêtent jamais.
Et d’ailleurs, pourquoi ce nom ?
Pour moi le rock’n’roll doit avoir quelque chose de bestial sur scène.
Mais ce nom est aussi une référence au groupe Beasts of Bourbon qui a changé le monde de la musique sans que les gens le sachent, tout comme les Cramps, le Gun Club et les Scientists.
J’aurais adoré faire tous les disques de Spencer P Jones, leur guitariste et chanteur. Je ne suis pas un collectionneur mais j’ai tous ses disques en 3 exemplaires de peur d’en perdre ou d’en abîmer un. C’est pour moi le plus grand songwriter. Lou Reed, qui ne parlait plus à personne depuis 15 ans, entretenait une correspondance avec Spencer P Jones.
Les groupes attendent souvent beaucoup des labels qui les signent. Peux-tu nous dire ce qu’un label attend d’un groupe ?
De mon côté, je propose aux groupes des dates. J’ai un réseau, je peux les faire jouer en France. Et puis il y a le festival de Binic qui est une belle vitrine et qui fait vendre les albums des groupes. Mais en retour, je n’attends rien. Je sais que je me prendrai une claque sur scène avec la plupart des groupes australiens, le niveau étant beaucoup plus élevé qu’en France. A Melbourne, dans une salle de 300 places il y a 90% de musiciens. Il y a une centaine de clubs à Melbourne qui sont ouverts 7 jours sur 7 avec 5 concerts par lieux et par soir, tu as 500 concerts par soir dans cette ville et il faut être très très bons pour jouer dans ces lieux où tu ne seras pas payé. Le niveau est donc très haut.
Donc je n’attends qu’une chose de ces groupes, me prendre une claque !
Etre un label indépendant aujourd’hui c’est difficile ? Comment vois-tu l’avenir des labels comme Beast Records ?
On a de la chance, nos disques se vendent. Sur 15 ans, on a peut-être eu seulement 2 ou 3 albums qui n’ont pas marché du tout. L’argent de la vente sert à la prochaine sortie. Notre label se porte plutôt bien aujourd’hui, on a de la chance.
Sur quels supports Beast Records sort les albums ?
On fait du vinyle surtout et des fois des albums aussi en CD. Je ne suis contre aucun support même si je suis d’une génération vinyle. Quand on fait des sorties CD, on les fait pour des albums calmes. Le CD est quand même une aide en plus, ça fait plus de choses à vendre pour eux. Si on prend l’exemple des Slim Wild Boar à Rennes, ils ont très bien vendu leurs CD.
Selon toi, qu’est-ce qui fait un bon groupe aujourd’hui ? Qu’est-ce que tu penses de la scène musicale actuelle ?
Pour répondre dans l’autre sens, ce qui fait un mauvais groupe, ce sont les carriéristes et les followers.
Je trouve que dans les jeunes groupes il y a moins de créativité mais ils sont au top au niveau technique. Du coup, j’ai l’impression de les entendre travailler sur scène.
C’est le reflet de la société superficielle d’aujourd’hui. Ca manque d’engagements sur scène.
Et la scène rennaise ?
Pour moi, c’est la meilleure de France et dans tous les styles. Visiblement la scène heavy rock est très bonne, la scène hip-hop aussi.
Même les américains adorent notre scène garage. Tu peux lire dans leurs fanzines qu’on est la capitale européenne du rock.
Il y a une vraie dynamique ici et ça tient aussi au tissu associatif qu’il y a dans cette ville. A Rennes, personne ne se critique, il y a de l’aide entre toutes les associations, les lieux, les groupes. La Bretagne est de toute façon une terre de musique. Même quand tu n’es pas fan de ce que fait telle ou telle asso, il y a toujours un lien un jour avec un groupe qui fait que tu vas te croiser, faire connaissance et t’apprécier humainement. Et puis, c’est intergénérationnel à Rennes. Je pense à Dana de Beating Recording, quand tu vois tout ce qu’elle fait !
Quelle sera la prochaine sortie de Beast Records ?
Un de mes groupes préférés : Mr Airplane Man ! Ils feront 2 concerts au festival de Binic. C’est un groupe que j’ai toujours adoré, j’étais prêt à faire des milliers de kilomètres pour aller les voir jouer. Pour moi il n’y a aucun duo capable de jouer et chanter comme ça. 2 superbes personnes qui font de la superbe musique. On en profite pour rééditer 2 anciens albums du duo qui se vendent 200 euros sur les sites actuellement.
Merci Sébastien.
Propos recueillis par Cath
Crédits photos : Tony Be Goode
Pour suivre l’actualité de Beast Records : http://beastrecords.free.fr/